mercredi 17 juin 2015

Vérité


Je me réveille. La première chose que j’observe est que je suis par terre. Je ne sais pas comment j’ai fait pour me trouver ici. Suis-je tombée du lit ? Ou bien me suis-je évanouie ? J’essaie de me souvenir de quelque chose, de ce que je faisais avant de dormir…. Sans succès. Je me mets debout comme par instinct et je commence à marcher. La deuxième chose que j’observe est que je ne suis pas dans ma chambre. Super. Cet endroit m’est complètement étranger. La troisième chose que j’observe est que je suis dehors. Me suis-je fait voler puis assommer ? Mais je ne sens aucune douleur. Je regarde à gauche et à droite et je vois des murs. Suis-je dans un couloir ? Dans une maison sans toit ? N’ayant pas d’autre choix, je commence à marcher droit devant. Il faut bien aller quelque part, rester dans le même endroit ne m’amènera nulle part, n’est-ce pas ? Très vite je me trouve devant un autre mur, je tourne à droite et je continue ma route. Il n’y a que des couloirs dans cet endroit. On dirait que c’est un labyrinthe et non une maison. Punaise ! Comment ai-je fait pour arriver là ? Je marche lentement, plus parce que je suis effrayée que parce que je n’ai pas de chaussures. Je n’entends rien. Tout est mort ici. Il n’y a rien qui vive, rien qui bouge. Il n’y a ni vent ni lune. Il n’y a ni oiseaux ni serpents. Je tourne à droite puis à gauche. J’essaie de marquer les places mais il fait assez sombre. Je me perdrai très facilement. Oh, la farce !
Pendant que je me promène au clair de la lune inexistante, je trébuche sur quelque chose. Ma peluche ? Que fait-elle là ? En la regardant plus près, je vois qu’elle est toute trouée. Je continue ma route en la regardant. C’est drôle, à chaque fois que je touche un trou je sens quelque chose. Comme la dernière fois que je me suis disputée avec ma sœur. Ce n’était même pas à propos de quelque chose d’important. Je veux dire, elle avait pris mon T-shirt bleu et alors ? C’est drôle quand je me fâche, je trouve beaucoup de mots méchants à lancer. Et quand je veux exprimer de la gratitude ou de l’amour, aucun mot ne me vient à l’esprit. Je n’ai même pas pu lui dire combien je l’aimais. Elle est morte sans le savoir. Cette peluche me rend triste. C’est comme si elle contenait tous mes regrets. Elle peut bien être petite, mais elle a beaucoup de trous minuscules. Je regrette bien des choses. Je la jette.
Je commence à faire du bruit. Oui, c’est ma façon de combattre la peur et le stress. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée. Peut-être, ça attirera quelqu’un qui n’est pas le bienvenu. Je commence à chanter. Je n’ai pas une très belle voix mais je chante quand même, ça me calme. Droite, gauche, gauche droite. Je suis mon chemin à l’aveuglette. J’entends quelque chose. Ce n’était sûrement pas ma voix. Ma voix peut être horrible mais elle n’est définitivement pas une voix d’homme. Je fais moins de bruit maintenant, je ne pense pas que faire connaissance avec un homme qui rigole comme le diable lui-même soit quelque chose que je veux vivre. Je marche plus vite. La voix n’arrête pas de rigoler. Je marche encore plus vite. Elle se rapproche. Je cours.
Courir pour échapper à un danger est un bon moyen de survie, lâche peut-être mais cela fonctionne. Courir dans des couloirs qui semblent interminables n’est pas vraiment la meilleure des solutions. Mais le rire diabolique de mon poursuivant me fait automatiquement aller de l’avant. Je cours jusqu’à ce que je sente quelqu’un tout près de moi. Je tombe. Trois secondes passent et rien ne m’attrape par derrière. Je remarque que je n’entends plus le rire. Ok… je me tourne doucement en m’attendant à apercevoir une silhouette, mais il n’y a rien. Hors d’haleine, j’essaie de reprendre mon calme en regardant le mur de droite. Pour la première fois, je vois qu’il y des inscriptions sur les murs. Je me rapproche et je commence à lire : « pourquoi me fais-tu ça ? Je pensais que tu m’aimais » « Fais quoi ? Je ne fais rien. C’est toi qui interprètes les choses telles qu’elles ne le sont pas ! ». Je fais un pas en arrière en pensant que je suis devenu folle. Je n’arrive pas à lire quoi que ce soit d’autre. Toutes les lettres sont floues. Mais je n’ai pas à lire davantage de toute façon. Cette conversation, je la connais par cœur. Elle était la dernière dispute que j’ai eue avec mon ex. Il m’accusait de flirter avec d’autres hommes. Il croyait que je le faisais pour le rendre jaloux. J’ai tout fait pour le convaincre qu’il imaginait des choses mais il était persuadé que je mentais. Ce qui est triste est qu’il avait raison. Et que j’ai fait des choses horribles à lui qui m’aimait tant. Quand il s’était rendu compte que je n’étais pas si innocente que je le lui ai fait croire, il était sorti de la maison pour ne jamais y revenir et j’ai perdu le seul être qui voulait me rendre heureuse. Mon insolence, mon orgueil, mon égoïsme etc. m’ont ruinée. Je n’ai su sa valeur que quand qu’il est parti.
Quelque chose à une grande vitesse passe derrière moi. Il est revenu ! Je recommence à fuir. Gauche droite, droite gauche. Il apparaît devant moi. Je cours à droite. Il apparaît à ma gauche je fuis droit devant. C’est comme s’il m’encerclait. Il est partout. Je suis terrifiée. Je ne sais pas pourquoi mais je pense à ma mère. Ma mère qui m’a protégée quand j’étais enfant, qui m’a soutenue quand j’étais adolescente et qui m’a pardonnée quand je suis devenue adulte. Ma mère que j’ai épuisée quand j’étais enfant, que j’ai négligée quand j’étais adolescente et que j’ai blessée quand je suis devenue adulte. Je m’arrête devant un mur. Je regarde partout mais il n’y a aucune issue. Prise au piège. Je me retourne et je vois l’homme qui se dirige vers moi. Je peux maintenant distinguer sa silhouette, elle devient une petite silhouette de femme avec un couteau dans la main. Elle a un masque au visage. Elle l’enlève. Ce que je vois c’est moi. Elle me poignarde.
Je me réveille. Cette fois je suis dans mon lit. Effrayée, essoufflée, déprimée. J’allume ma veilleuse pour m’assurer qu’Elle n’est pas là. Je ne la vois nulle part dans la chambre mais pourtant Elle est ici, avec moi. Elle est en moi. Elle est moi. Elle est celle que je montre aux autres. Elle est celle qui joue un différend rôle chaque jour. Elle est celle qui porte un masque au visage sans même considérer être elle-même. C’est un cauchemar que je n’oublierai jamais parce que c’est plus ma vérité qu’un simple rêve. Cela m’a montré qui je suis, ce que j’ai fait et comment j’en suis arrivée là : sans rien, sans personne…

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vendredi 12 juin 2015

KATE WAGNER


Kate Wagner
Tu écris ? Mais qui est ton éditeur ? Pourquoi ton livre n’est pas en librairie ? Combien sont logés à cette enseigne rouillée? Pas de grands éditeurs aux larges vitrines. Ici, c’est le petit éditeur, l’autoédition ou pour les moins chanceux la cave tapissée de livres payés avec un crédit. Combien de pépites dans ce désert de sable qui avale tant de textes ? Ils seront bientôt plus nombreux que les lecteurs. C’est sans compter ceux qui écrivent avec les deux pieds dont le rêve inavoué est d’être numéro un des ventes. C’est plus facile d’imprimer un livre ennuyeux que de chanter faux. Un goût de célébrité sur la plume, plus accessible. C’est ceux-là que l’on retrouve dans les salons à donner des leçons à tous les autres qui portent plus beaux qu’eux le stylo. Méprisent les sincères, vandalisent les amoureux des mots. Ils ont la gorge rouge du sang de ceux qu’ils ont réussi à faire douter. Ils parviennent parfois à vous faire sécher l’encre tant la peur d’être un mauvais écrivain sera mise en avant. La jalousie et l’envie leurs font faire des rimes et ils n’ont de cesse de se mettre en avant, quittent à déchirer les pages des autres. Vous les avez rencontrés ceux-là, au détour d’un stand, raillant la couverture de votre livre qu’ils estiment trop amateur, vous donnant conseils sur la subtilité d’un dialogue ou la qualité du portrait de la quatrième de couverture. Ils ne savent pas que vous écrivez avant tout pour vous-même et si le partage avec des lecteurs est possible, c’est le seul plus que vous attendez. Pour vous l’écriture est une musique qui se joue n’importe où, qui ne se feutre pas chez les intellectuels froids ou chez les égocentristes frustrés. Vous, c’est écrire votre circulation sanguine. Dommage si vos livres restent presque confidentiels sans votre photo, ni votre nom en grand, vous aurez tout de même un avantage sur tous ces crapauds baveux : la satisfaction de puiser à l’encre de votre âme

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jeudi 11 juin 2015

MORT PROGRAMMÉE …(Jean-Pierre Artin)


MORT  PROGRAMMÉE …
Ils ont eu bien du mal à me faire grimper dans ce fourgon sordide…Balloté de tous les côtés,  je n’ai  rien compris à ce long voyage dans le noir. Quelques bribes de foin au lieu de l’herbe tendre, une rasade d’eau, et cette attente qui n’en finit pas dans cette pièce triste et sordide. Des murs gris pour tout horizon. Les heures sont longues ; je tourne en rond…
 Qu’ai-je fait pour qu’ils me fassent subir toutes ces horreurs ?
 Tout d’abord ils se sont mis à trois pour  m’immobiliser ; ensuite ils ont coincé ma tête, m’ont scié  mes cornes à vif , la douleur a été  fulgurante . J’ai beuglé, beuglé !  Ils tenaient tant à  refaçonner les pointes…Ce n’était pas fini !  Ils ont coincé   des  coins de bois…entre les onglons !         
Et puis cette douleur insoutenable,  gratuite. Mon corps a frémit  lorsqu’ils ont enfoncé  des aiguilles, comme des dards , dans mes testicules ; Ce sont vraiment des sadiques !    
Et maintenant ils viennent de m’asséner des coups avec des planches de bois sur ma croupe et mes épaules, et pour finir leur méchanceté j’ai reçu une giclée de produit dans les yeux… c’est un peu trouble, les larmes ne dissipent pas le voile…Je ne comprends par leur punition gratuite!   
Ah ! Ils me font passer par un couloir…Il y a une porte qui s’ouvre. Aie ! Pourquoi ce coup  de pique dans le dos ! J’ai bien vu la sortie, la liberté ! La lumière, le sable. Je me propulse ;  530 kilos de muscles, de puissance…
Quel est ce brouhaha, ces cris !  
Et ce cheval, tout seul qui me fait face !
Je suis désorienté. Un tour de piste… où est le passage vers la prairie ? Bizarre, j’ai beau chercher, pas d’issue. Des palissades de bois.
Et, qui sont tous ces gens entassés qui vocifèrent à chacun de ses mouvements ! C’est insupportable…Je tourne la tête, à droite, à gauche. Des trompettes, je n’ai  jamais entendu un tel vacarme.
Et ce cheval qui fonce sur moi ! Diable, jamais un cheval n’a fait preuve d’une telle arrogance… ! Les chevaux que je connais  sont dans un autre enclos ! Tranquilles, à brouter l’herbe ! Celui la me cherche des noises et semble bien présomptueux dans ses agressions ?  Osant frôler ma croupe dans des virevoltes de polichinelle ! Un coup de corne ?... tu veux un coup de corne ? Continue, tu vas l’avoir !
Jamais je n’ai  entendu un tel brouhaha ! Je suis perdu dans ce bruit, ces cris. 
Une musique soudaine  ajoute à la fanfaronnade ! Je ne connais  que le crissement des cigales, l’ébrouement des chevaux, le claquement de l’éclair avant les giclées de la pluie !..Qu’est-ce bruit de cymbales et ces trompettes de fête foraine ?
Le voila, à nouveau, ce cheval qui à perdu la tête et veux absolument m’affronter ! Il tourne sur place, vire et se dérobe, cherche à m’entrainer, sautillant comme un pompon de manège ! ; Il esquisse bien le bougre.  Mais, c’est vrai… je me rappelle, je comprends pourquoi ils ont limés le bout de mes cornes : mes coups de tête brassent le vide ! 
Cheval,  cheval , tu cours vite mais je vais te bloquer , là-bas dans le virage…
Je fonce…diable,  il a bougé au dernier moment ! Entraîné par l’élan j’ai terminé ma ruée dans la balustrade. J’en suis certain … il se moque de moi !
Il revient à la charge. Il est passé si vite que je l’ai raté.  En plus je dérape et n’arrive pas à m’accrocher dans ce foutu sable. Je rage.
 Mais que fait il maintenant, sabots en l’air, devant moi dans un ballet de clown ? Et  ces cris qui scandent  sa sérénade de pitre moqueur !
 Et ,..encore, ce chassé-croisé qui m’emmène, me ramène... Le démon m’affronte puis s’esquive.
De regarder à droite, puis à gauche, cherchant a apercevoir quelques mouvements et le cheval a disparu !  Diable  où se cache-t-il ? Je n’y vois plus très bien avec leurs gouttes…  
Décidemment je crois qu’ils m’en veulent. Pourquoi cet animal à quatre pattes  caparaçonné ? Je fonce… mes cornes s’enfoncent avec délice ; cette fois je le tiens, l’ébranle sous mes furieux coups de corne… je vais l’éventrer…Ran, Ran , prends ce coup, celui-là .Ah cette douleur fulgurante  dans ma nuque ; on dirait qu’on m’ouvre le crane. Je frappe, je frappe, rien n’y fait. La souffrance est lancinante, je suis au milieu de la piste, baisse la tête, étonné, abasourdi.
Les fanfares recommencent et toujours ces cris… pourquoi, pour qui !
 Tiens, voilà un pantin…je brasse le sol avec mes sabots, je vais t’envoyer au diable. Il vient vers moi, bras en l'air, se met à courir. Quel insolent !
Aîe !...quelque chose a claqué dans mon dos, comme une piqure de gros moustique ; les taons ne m’agressent pas ainsi.  Cette gène persiste… deux ,trois coups de tête pour essayer de m’en débarasser… mais je n’arrive pas …Il revient le dément, fonce sur moi à toute allure; encore une piqure ! Il a été vraiment rapide…Mais il fuit ce pitre… deux coups de corne qui frappent le bois…Ose, sors de derrière cette balustrade, polichinelle.
Ah ! Un autre farfelu se précipite vers mes cornes ; vlan ! Le taon  vient encore de me piquer, toujours à la même place  dans le dos.  
Ils sont partis en courant ; ils se sont enfuis comme ils étaient venus pour se réfugier derrière ces panneaux de bois, trouillards ! Je frappe des coups de cornes rageurs…qui ébranlent les barrières. Je fulmine.
Décidément, ils n’en auront jamais assez de se jouer de mes maladresses.
Voila un nouveau spadassin qui vient vers moi, et, maintenant cette cape qui  bouge comme un leurre, je vais m’y précipiter… mais elle m’enroule et me déroule… ce morceau de tissus qui passe sur ma tête, cela m’énerve… J’aperçois une silhouette, quel est ce pleutre ?
Il me reste mon obstination. Cette fois je vais l’étriper. Je fonce. Diable, comment a t’il fait ? Mes cornes l’ont frôlé ; il s’est dérobé. Nouvel assaut : encore une fois raté.
Je me retourne,  il est devant moi, il parade ! Sale freluquet …Je désespère d’atteindre le sournois. La bouche ouverte, langue pendante, je m’essouffle. Le pantomime de cirque veut épuiser les forces qui, je le sens, peu à peu commencent à m’abandonner. Mais je vais tenir bon.
Cela dure, il s’amuse, veut me ridiculiser.  Et tous ces cris  qui m’horripilent, m’encouragent et me découragent à la fois … sont-ils pour moi ou pour la marionnette ? 
Une volte-face m’a fait tomber à genoux ; c’est le sable qui m’a fait déraper. 
Je commence à en avoir assez de courir pour rien. Je n’entends plus que le bruit de mes sabots qui crissent sur le sable.
J’ai soufflé un peu, ce diable m’épuise. Et c’est quoi ce liquide qui coule sur mes flancs ! C’est bizarre, ma vue se trouble.
A force de manipuler son chiffon, l'hurluberlu m’a conduit au centre de l’arène. Il s’agite autour de moi, mais je n’ai plus envie de participer à ses jeux débiles.
Mais il insiste ! Je vais réunir mes dernières forces. Muscles bandés, la rage au ventre, je fonce…  Coup de corne. C’est encore raté.raté...  J’abandonne.
Cette fois la musique de trompettes est ouatée. Elle vacille dans mes oreilles comme un trémolo. Peut-être m’annonce-t-elle la fin de ce mauvais rêve. Je titube, l’air est frais. Les naseaux dilatés…un parfum d’Andalousie. Qu’il en finisse .La foule m’a compris. Progressivement, les cris cessent ,… jusqu’au silence complet.
Vous n’avez plus rien à dire les voyeurs ! Vous vous êtes bien gavés ! 
Il vient vers moi, me vise. Une brûlure terrible fige mes poumons, transperce  tout mon être.
Mais je reste debout dans l’ultime.
Diable, je chancelle, figé dans l’inutile. Faire face à cette fin qui va venir. Elle abrègera cette terrible souffrance qui asphyxie mes sens, mes pattes, mon torse, mon ventre...
Malgré mes efforts, je ne peux plus tenir ma tête droite. J’aperçois deux pantins qui se précipitent, puis s’agitent devant moi ! L’un à droite, l’autre à gauche ; ils me cernent, me contiennent. Cela sert à quoi ! Je n’ai plus la force de bouger ! A quoi bon la gesticulation de leur bout de chiffon  qui me force à  tourner la tête, cruelle douleur supplémentaire à mon désespoir de ne plus pouvoir les affronter… Je suis pétrifié dans l’intolérable, mais reste debout.
J’y resterai jusqu'à  la fin. Quelle fin!   
Les cris fusent, puis les sifflets. Il y a dans l’air le verdict d’une outrance justifiée par mon injustifiable agonie.
Je sens la mort au bord de mes naseaux dilatés dans mes derniers sursauts à trouver l’air pour respirer . Dieu que c’est long.
Un chiffon rouge s’agite, avance, puis recule…car il a peur, ce couard, d’une  dernière réaction.
Je le suis des yeux, baisse la tête de dépit et d’épuisement.
Bourreau…fais, enfin, ton œuvre …S’il-te-plait.
Un coup sec m’a broyé la nuque et la douleur me foudroie ; un long frisson coule le long de mon dos , mes reins , enserre mon torse dans un étau.
Je ne suis pas mort, mais ne peux plus bouger. Paralysé.
Des bribes de cris de la foule passent en vague, rythmés par les  derniers soubresauts du sang. Ces cris sont véhéments ; cette foule ne veut  pas se sentir complice …et cherche à se disculper de ces instants pitoyables !   
Et, je reste , encore debout .
Une seconde fois, un coup violent lacère  ma nuque …Des flashs fulgurants traversent mes yeux, quelque chose vient de foudroyer ma dernière étincelle de vie.
Un éclair ultime, libérateur, attendu pour fuir, résigné, ce monde où le rite se prévaut sur l’humanité.

J’ai vécu ce spectacle. Que dire, qu'en penser?
J'ai été fasciné par la puissance et la force du taureau, admiratif devant la grâce et l’élégance du cheval mené de main de maître.
Quel fabuleux ballet ! D’un côté la sveltesse, la rapidité, la grâce…de l’autre la puissance, la force, l’instinct…le courage.
Duo de charme dans l’apogée de la violence ; rodéo de l’inutile dont  on connaît le dénouement , la fin étant au début  sans mystère , et le début quelque part sans fin puisque l’on connaît déjà l’histoire de cette fausse énigme…
Aucune chance de dérobade ; le temps et la fanfare  rythmant l’organisation de la mort.
Pièce en trois actes , ballet morbide dont seul le taureau ne connaît pas la fin.
Et les minutes passent dans la pénibilité… 
Le premier acte du défilé des paons, des toreros, des chevaux, la fierté et l’allure des animateurs de cette fête …le prélude éblouissant de la mise en scène.
Puis, le second, la danse merveilleuse de l’homme et de la bête, les esquives, les frôlés, les ronds et les déliés de l’écriture de ces deux vies qui se croisent , s’enchevêtrent dans un ballet orchestré comme le phrasé d’un subtil dialogue ;  des points d’exclamations écrits par le public, des points de suspension susurrés par le duo ; une déclaration d’amour comme on la fait la première fois avec la sensation qu’elle sera unique et éternelle.
J’ai applaudi, convaincu, hors du temps, au cœur de l’émotion de cette somptueuse parade.
Pourquoi la fin ? Cette fin ! … l’estocade manquée- c’est bien souvent le cas- et cet acharnement à abréger cette note discordante qui tuait l’orchestre !
Le concerto était si beau, il pouvait s’arrêter dans l’éblouissement du second acte !
Pourquoi fallait-il la mort pour celui que j’avais tant admiré pour sa bravoure ?
On ne tue pas un premier rôle !
Quel plaisir de voir la souffrance ? Les animaux, entre  eux, ne tuent que pour survivre.
Quel plaisir sinon celui sordide de jouir de ces sensations morbides.
Les rites, les coutumes, la tradition de l’ancestral  disent certains…
 L’homme a évolué depuis l’âge des cavernes et l’Inquisition du Moyen-âge !
Un ‘’art’’, une ‘’culture’’, la poursuite d’une éthique disent d’autres.
Pour ce qui est de l’ ’’ art’’ :
Tuer n’est pas un art, car l’art n’a jamais été fait de cruauté !
Pour ce qui est de la ‘’culture’’ :
Torture, n’est pas culture ! et cette ‘’culture’’  n’est qu’un blanc-seing  agréant  en quelque  sorte la perpétuation de cette cruauté … 
Et la morale dans tout cela ?
Quel plaisir, quel exemple a pu ressentir ce gamin de 7 ans que j’ai aperçu au deuxième rang des tribunes ?
Voir le sang, la mort en face, n’a rien à voir avec les dramaturgies  de la télé !
Et l’argent…? N’est il pas l’arbre qui cache la forêt de tous ces cyniques bien-pensants.
Triste misère d’une certaine société qui tolère ce spectacle d’un autre âge et se repait de la douleur alors que paradoxalement la recherche médicale  n’a de cesse  d’évoluer  pour réduire la souffrance !
Je n’ai pas applaudi, ni brandi de mouchoir pour acquiescer et remercier la vedette.
J’étais l’un des seuls à rester assis quand le palefrenier de la mort a fait le tour de piste, glorieux de ses actes, paradant avec arrogance devant cette foule gavée de sang. 
6 taureaux ont été sacrifiés en cette soirée de juillet…pour le plaisir égoïste  et morbide de l’homme. 


Les détails des outrances citées sont exacts.  Le taureau est ‘’préparé ‘’ avant la corrida.
cf : ‘’ Ethique animale ‘’ , de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer PUF(2008)

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